Nicotines: le ressassement 3

30 novembre 2013

Nicotines: le ressassement 3

                                                                27 octobre 2011

 

   16h. Je suis dans un café. J’attends B. qui doit me rejoindre. Hier, elle a vu mon étranger. C’est tout ce que je sais. L’information est installée dans ma tête depuis que je l’ai reçue : B. va voir l’Autre. B. est en train de voir l’étranger. B. a vu mon étranger. Ca s’est passé hier. J’ai passé toute la journée d’hier chez moi. Je n’ai pas pu bouger. Mon amie était en compagnie de l’Autre. J’étais en compagnie de… Le parallélisme entre B. et moi me donne le vertige. Je connaissais l’endroit où ils allaient se rencontrer. C’était mon café habituel, où je suis maintenant. B se serait assis sur la chaise que j’occupe tous les jours, à côté de la vitre qui donne sur la grande rue. La chaise d’en face, toujours vide lorsque j’y suis, aurait été occupée par l’Autre. Aujourd’hui, j’ai pris une autre table. La mienne me dégoute. J’attends encore B. Mon regard circule dans tout l’espace. Hier, l’Autre était ici. C’est une évidence. Il n’était pas avec moi. Maintenant, je suis ici. Je ne suis pas avec lui. Mon calme perd le contrôle. Une vague de chaleur envahit mon corps. L’endroit m’asphyxie. Tout devient trouble. L’idée de la présence fantomatique de l’Autre dans ce café me donne la nausée. Je change de place.

La terrasse.

   B. est là depuis trente minutes. Elle va rentrer. Son train est dans une heure. On rigole, comme d’habitude. Je lui demande ce qu’elle a fait de sa journée d’hier. B. a passé la nuit d’hier chez sa sœur. Elle lui manquait. B. a choisi de commencer sa journée à partir de 21h. Hier, je sais qu’elle a vu mon étranger vers 16h. B. annule cinq heures de sa journée. Elle n’en parle pas. Je ne demande rien. J’écoute. B. part dans une sorte de délire verbal. Elle parle, parle, parle. Je la suis. Ma tête commence à tourner. B. parle encore. Je n’arrive plus à la suivre. Je ne réagis pas. Tout ce qu’elle dit ne m’intéresse en rien. Ce qui me captive est absent de ses phrases. Cela m’angoisse. Mon silence aussi. Pourquoi ne pas demander à B les détails de sa rencontre avec l’Autre ? B. est une «  amie ». Elle me répondra. J’essaye de formuler l’interrogation au milieu de son bavardage. Elle ne se tait pas. Je l’interromps :

   « –   ton train est pour bientôt. Il faut partir à la gare ».

   La gare. 18h15. B. est partie. Les détails de sa rencontre sont avec elle. Elle ne me les a pas confiés. Je sens quelque chose de coincé dans ma gorge. Mes jambes ne contrôlent plus ma marche. Elles transportent mon corps là où elles veulent. Les ruelles surpeuplées voient passer un corps. L’être de se corps n’y est pas. Des rues, des passants, des vendeurs, de la marchandise…Un corps.

 

*                            *                  *

 

   18h30. Je reviens au café. J’occupe ma place habituelle. Toujours le même corps affaibli. Je sirote un café. Il fait un peu froid. Une seule idée : intolérable. La rencontre entre B. et l’Autre m’est insupportable. Ce que mon corps vit est intenable. Le vacarme cérébral est insoutenable. Il faut que ça cesse. Une coupure, ne serait-ce qu’une légère pause. Un petit temps de répit volé à l’immensité de l’angoisse endurée. Je prends mon téléphone : «  Bonsoir, tu vas bien ? Je suis au centre ville. Tu veux qu’on se voie ? ». J’envoie le message à l’étranger. Il répond instantanément. Il demande combien de temps je vais rester. Je réponds : « je rentre après demain ». Mensonge. Je ne rentre pas dans deux jours. Je serai toujours ici. Je déforme les données de la réalité : tu as deux soirées, deux occasions, deux temps pour me voir. L’information que je réside ici n’est pas intelligente. L’Autre pourrait penser qu’on a tout le temps pour une rencontre. Pour lui, rien ne presse. Ici, tout est au sommet de l’attente. La rencontre est urgente. Une nécessité. Je mets l’Autre face à la réalité bafouée. Un message : « Ah d’accord ! Là je suis fatigué. On se voit demain. Je t’appellerai ». Je commande une bière. La soirée ne sera pas facile.

 

*               *               *

 

   L’idée d’une éventuelle rencontre me hante. Elle envahit toute la maison. Je la vois partout. elle est les murs, les portes…le plafond.

   Il est 5h. Je dois me reposer un peu.

@Rawand Ben Mansour

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