Nicotines: La frustration – 1

19 octobre 2013

Nicotines: La frustration – 1

                                                                                                                                                                                                                                Samedi 23 Octobre 2010

 

   J’ai perdu mon journal. Je viens de le récupérer. Je l’ai laissé sur une table dans un hôtel.  La perte n’a rien bouleversé. Aucune chose n’allait être mentionnée. Une seule peut-être : l’Autre n’a pas répondu à mon message téléphonique.

   J’ai repris les cours il y a une semaine. Une année assez difficile s’annonce. Je dois avoir un rythme. Obligation de dormir lorsque le sommeil n’est point présent. Obligation de se réveiller lorsque le sommeil commence à peine à faire surface. Obligation d’être à jour. Cela m’excite un peu. Je dois aménager une place pour mon étranger. Chercher un temps libre pour parler avec lui, voir son visage. On discute d’une manière régulière. Deux mois déjà qu’il est presque quotidiennement là, virtuel.

   On n’habite pas à la même ville. Je me déplace fréquemment là où il vit. Jamais l’idée de lui proposer une rencontre ne m’est venue à l’esprit. Et je ne sais pas pourquoi. Quelques semaines auparavant, mon étranger m’a proposé une rencontre. Réponse automatique : «  je viendrai en octobre pour le festival du cinéma ». Je n’arrive toujours pas à comprendre les raisons qui motivaient cette réponse. Lui non plus d’ailleurs : « c’est bien. Mais octobre est encore loin tu ne trouves pas ? ». Aucune solution de réponse ne m’a été offerte : « oui, tu as raison. Je suis un peu occupé pour toute la période qui vient et je ne pense pas pouvoir me déplacer ». J’ai menti. Je n’avais aucune occupation, aucun engagement. Le départ m’était offert tous les jours. Et j’ai menti.

   Hier soir, j’ai informé l’Autre que je viendrai dans deux jours. Je n’ai point proposé  de rencontre. Informer l’étranger de ma venue sans proposer de rencontre. Lui non plus. Il a reçu  l’information de ma venue sans aucun commentaire. On s’est tu un petit instant. Il a proposé un film à regarder ensemble. J’ai dit oui, sans penser. Voir l’Autre pour la première fois dans une salle de cinéma, obscure. Je suis devenu gourmand. J’ai proposé des bières après le film. L’Autre a hésité un peu. Il aura cours le lendemain. Une idée dans ma tête : avancer d’un jour ma venue. Ça sera la fin de la semaine. Il n’aura pas  cours le lendemain. Hésitation : le samedi, point de film à partager. Accepterait-il quand-même une première rencontre arrosée de bières, sans film ? Je ne dis rien. L’étranger me dit qu’on verra après le film. Mes mains insistent à vouloir dire à l’Autre que je veux le voir autour de quelques bières. Les films m’intéressent peu. Je ne regarde un film qu’en solitaire. L’idée de partager un film, en groupe ou même en couple ne m’intéresse en rien. Mes doigts commencent à taper l’insistance. J’efface. Mes doigts retapent de nouveau. Je réefface. Le jeu se poursuit avec le même acharnement. Cela me fatigue. Comment trouver la formule la plus neutre qui cacherait toute l’insistance de mes envies ? Ne pas être agaçant. L’idée de décider après le film ne me plait pas. Tout doit être programmé à l’avance. Je ne me laisse que rarement transporter par le cours des événements, si événement existe déjà : « On prendra quelques bières sur la terrasse de l’hôtel qui surplombe la ville. Tu connais l’endroit ? Je le trouve magnifique ». Il a répondu : «  On verra bien ». Je n’ai plus insisté. Mes mains se sont relâchées.

                                           @Rawand Ben Mansour

                                                                                               *                            *                        *

 Il est 22h. Je pars demain au festival. Je prendrai le train de 10h30. Je cours vers l’Autre l’informer de l’heure de ma venue. Il est là : « Salut ». Point de réponse. Il est sûrement occupé par quelque chose de plus important. Il y aurait quelque chose de plus important que ma venue. Je pars à la cuisine. Je mange une tartine avec du fromage. Je n’ai pas encore dîné. Je fume une cigarette. Je reviens vers mon ordinateur. L’Autre est encore là. Toujours pas de réponse. Il est au courant que je viendrai demain, pourquoi parlerait-il ? Je pars préparer ma valise. Ça prend quelques minutes. Je reprends ma place, en face de l’ordinateur. Toujours rien. Une légère inquiétude tente de dominer ma tête. Je la chasse. Elle revient. L’étranger est encore présent. Il ne répond pas. Le serveur de communication m’informe qu’il  est en train de jouer. Il terminera donc la partie et viendra vers moi…

…Quarante minutes se sont écoulées. Je n’ai pas changé de position. L’Autre joue encore, normalement. J’ai son numéro . Il a aussi le mien. Pourquoi pas ne pas lui envoyer un message directement ? Il le lira après le jeu…Cette proposition cérébrale est inefficace: tout ce que j’enverrai par message téléphonique, je peux le faire ici, sur mon ordinateur. Je relâche donc mon téléphone. Envoyer quoi ? L’informer de ma venue ? Il le sait. L’informer de l’heure de mon arrivée ? Peut-être. Ceci n’est point urgent. L’Autre sait que je n’arriverai pas trop tard. Le festival commencera à 18h. J’y serai donc logiquement avant 18h. Toujours dans la logique : l’Autre a proposé une rencontre. Il sait que j’y serai demain. Il sera alors libre à partir de 18h. Inutile donc de l’informer de l’heure de mon arrivée dès ce soir. Je l’appellerai lorsque je descendrai du train….

   Un son. Un message. Je saute sur l’ordinateur. C’est mon ami qui me demande l’heure du train. Il viendra avec moi. Je réponds que je ne sais pas encore, que je le lui confirmerai demain matin. Une respiration : qu’est ce que j’allais dire à l’autre si je ne sais pas encore l’heure du train que je vais prendre ?

   L’Autre n’est plus là. Il a terminé le jeu sans venir vers moi. J’éteins l’ordinateur. Il est 2h. Il faut dormir.

 

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