Nicotines: La frustration – 3

29 octobre 2013

Nicotines: La frustration – 3

     Mardi 26 Octobre 2010

14h. Devant la gare. Je rentre. Le train arrive d’ici peu. Une amie me propose de rester encore quelques jours. Je refuse. Il faut rentrer. J’ai du travail.

Hier je n’ai rien fait de particulier. Je me suis réveillé vers 10h. Je suis parti sur le lieu du festival. Je me suis assis dans une terrasse surpeuplée. J’attendais Fonna qui devait arriver. Toujours seul. Mon téléphone était en face de moi. Un bouquin, longuement discuté avec mon étranger, était à côté. Je l’ai ramené avec moi. J’allais le donner à mon étranger qui ne m’a pas encore appelé. J’ignore pourquoi je l’avais pris avec moi ce matin là. Aucune rencontre n’était programmée avec l’Autre. Ça serait un signe. Il viendrait parce que j’ai ce bouquin avec moi. La dimension sacrée que mon mental avait accordé au livre me faisait un peu peur. Un objet fétiche. J’occuperai l’espace de l’autre par la simple présence du bouquin. Réduplication de mon être sur du papier…Il faut banaliser la sacralisation du livre, le toucher. J’ai entrepris sa lecture. Une heure est déjà passée. Fonna n’est pas encore arrivé.

Ennui.

   J’ai relu le programme du festival. Aucun titre ne m’a intéressé. Il y avait trop de monde. Je me sentais encerclé. Mon téléphone a sonné. Il était 11h. La même brûlure somatique de la veille a réapparu. Je n’ai pas changé de posture. J’ai laissé sonner. La sonnerie a cessé. Je n’ai pas pris l’appareil. Le téléphone a sonné de nouveau. L’autre serait insistant. Il serait peut-être libre. Il m’appellerait pour me voir. Le sortilège livresque aurait peut-être fonctionné. Je me suis quasiment jeté sur le téléphone. C’était encore une fois Nina. J’ai décroché avec amertume. Elle demandait de mes nouvelles. Rien. Elle m’a bombardé de questions. Toujours la même réponse : «  Non. Rien ».

J’ai passé toute la journée dans la rue, avec Fonna. On a pris un petit café avec une autre amie. Rien n’était intéressant. Rien ne s’était passé. Aucun événement. Tout se passait dedans, dans la tête. Ça se propageait assez souvent dans mon corps. Lorsque la tête ne supporte plus, le corps prend la relève. Aucun répit. Point de désarmement. Toujours la même pensée : lui. Toujours la même question : pourquoi ? Toujours la même absence de toute réponse. Vacuité fatigante.

 

   Je tente (entreprise épineuse) de décrire un trou noir, infini. Lutte démesurée de ne pas s’effondrer dans le trou. Là où je périrai n’est pas perceptible d’en-haut. Je me tiens à l’extrémité du gouffre. Mes orteils sont dans le vide. Je tente de toutes mes forces de tenir debout, agrippant mes orteils au bord du trou. Je regarde vers l’horizon vide. Incapacité de reculer. Fatalité de rester là, debout, sur le bord, sans pouvoir le quitter. Je dresse mon dos. Je tente l’équilibre parfait. Il ne faut pas sentir la fatigue. L’empêcher, la retarder. Surtout ne pas regarder le trou. Oublier sa présence, juste en dessous de moi. Mes yeux ne quittent pas l’horizon, toujours désert. Chercher un sauveteur, un héros qui viendrait à mon secours. En vain. Aucune présence. Fermer les yeux pour éviter l’horizon non prometteur. La fatigue vient boucler mes pieds. J’ouvre mes bras afin de garder l’équilibre. J’essaye de jeter mon corps en arrière. Revenir en arrière. M’adosser sur ce qui meuble mon arrière. Impossibilité de s’y jeter. Mes pieds restent attachés au le bord du noir. Aucun mouvement n’est envisageable. Rester là. Attendre un miracle. Je commence à suer. Des gouttelettes perturbent ma vue. Je ne dois pas essuyer. Je risquerai de perdre l’équilibre déjà fragile. Ça pique. Les gouttes descendent tout droit dans le trou. J’essaye de suivre auditivement la chute pour mesurer ainsi la profondeur du trou. Rien. Aucun écho de leur chute. Ma peur augmente. Des silhouettes se dessinent dans l’horizon lointain. Elles semblent venir vers moi, tout doucement. Je lance un cri de détresse. Leur marche n’accélère pas. Je patiente…Je ne vois plus les silhouettes. Je les cherche partout…Mirage. Je commence à sentir un faible étourdissement. La panique occupe tout mon corps. L’étourdissement s’accentue. Mes mains sont anéanties. Mes jambes trembles…Le vertige.

 

…Je tombe.

 

@Rawand Ben Mansour

*             *                    *

 

   22h. Je suis chez moi, dans ma chambre. Je me suis un peu reposé. Je commence à préparer le travail que j’ai. Mon ordinateur est à côté de moi. Un son. Le prénom de l’Autre apparaît. Mes épaules s’alourdissent. Mes bras me font mal. Une explosion intérieure. Je ne bouge pas. L’autre vient vers moi.
Lui : « – Bonsoir
Je fixe la phrase. Je ne réagis pas. Ma tête tente la compréhension. En vain. Je ne réponds pas. Je ne le peux pas. Dichotomie : mes mains partent vers le clavier, têtues. Je résiste. Ne pas répondre à l’Autre. C’est un devoir. Lutte incessante contre l’acharnement manuel. Je ne réponds toujours pas.
Lui : « – Tu vas bien ? »
Je ne réponds pas. Je ne sais pas. Je vais bien ? Non. Du tout. Je ne comprends plus le sens de la phrase. Que veut-il dire ? Irais-je, bien en général ? Irais-je bien, après les trois jours passés au festival ? Irais-je bien parce qu’il ne m’a pas appelé ? La réponse ne vient toujours pas. J’allume une cigarette. Il faut fumer. Je réponds : « Bonsoir. Oui, je vais bien ». Je ne renvoie pas l’interrogation. Une phrase sèche qui n’est pas dans la communication. D’habitude, je termine ce genre de phrases par «  et toi ? ». Maintenant, je ne le fais pas. Son état ne m’intéresse en rien. J’essaye de reprendre le travail. La concentration fait défaut.
Lui : « – Alors, tu es venu ? »
Ma tête gonfle. Mes mains caressent mes cheveux, machinales. Je ne peux plus porter mon corps. Je prends l’ordinateur et m’allonge sur le lit. Je réponds : « – Oui, je suis rentré aujourd’hui. »
Lui : « – Et pourquoi ne m’as-tu pas appelé ? »
Je fixe la phrase. A – t – il osé le demander ? Je ne comprends plus rien… Décidément, l’étranger est impoli. Seule pensée qui envahit ma tête. Je ne réponds toujours pas. Seule riposte possible : la non réponse. Ceci n’est pas possible. Je veux crier. Insulter l’Autre. Je n’y arrive pas. Je m’inscris alors dans le jeu de l’indifférence, instauré par l’Autre. Je prends le masque. Je le porte :
Moi : « – Je t’ai abordé avant que je vienne et tu n’as pas répondu. Je me suis dis que t’avais des choses importantes à faire
Lui : « Oui, tu as raison. J’étais occupé par mon projet de fin d’études. Dommage. Peut-être une autre fois »
Je veux demander avec toute la sincérité possible si son travail portait sur le jeu… Je ne le fais pas.
Moi : « –certainement

La discussion s’achève. Je rallume une autre cigarette. Tout mon corps est en désordre. Je récapitule : l’Autre était occupé par ses études. L’Autre savait que j’allais venir. L’Autre a proposé tout seul une rencontre. Il savait quand-même qu’il avait un projet à faire. Malgré ça, il a proposé une rencontre. Ça ne tient pas. Cela ne me convient pas. Je reprends la discussion au cours de laquelle il a proposé une rencontre. Point de conditionnel. Point d’incertitude. Aucune tournure hypothétique. La phrase est clairement affirmative : «  ON REGARDERA UN FILM ENSEMBLE ». Je relis toute la discussion. Chercher quelque chose qui concorde avec la supposée logique retenue. Rien. Mon corps me fait mal. Il faut dormir. Demain j’ai cours.

La tête sur l’oreiller. Une seule pensée : je ne parlerai plus avec l’étranger.

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