Nicotines: La frustration – 2

22 octobre 2013

Nicotines: La frustration – 2

Dimanche 24 octobre 2010

   Il est 9h. Je pars à la cuisine prendre mon café. Dehors, des nuages meublent le ciel. La pluie se fait discrète. Je n’aime pas ce climat. Ça me rend nostalgique. Je tente d’égayer ma journée par une musique. J’ouvre donc mon ordinateur. L’Autre est là. Il n’a pas répondu à mon message d’hier. Il est certainement en train de voir que je suis là. Je ne pars pas vers lui. C’est à lui de venir vers moi. J’allume une cigarette. Mon téléphone sonne. C’est mon ami. Je lui dis qu’on prendra le train de 13h. On arrivera à 15h. Il est d’accord. L’Autre n’a pas encore bougé. Je pars vers lui : « Bonjour ». Rien…Silence. Ça commence à m’agacer. Je sors fumer dans le jardin. Les sons des orages me fait mal. J’y reste quand-même. J’essaye de me motiver : aujourd’hui, je vais voir Estella. Ici, on se voit régulièrement. Aujourd’hui, je vais la voir pour la première fois dans une autre ville. L’idée d’une amitié naissante avec elle sursaute dans mon esprit. Cela me réjouis. Je rentre à la cuisine. Mon ordinateur. Encore rien. Ça commence à devenir une habitude. L’étranger ne répond toujours pas. Serait-il mort, laissant son ordinateur ouvert ? Non. Hier soir, il n y était plus. Maintenant il y est. Il faut être vivant pour pouvoir faire ce genre de chose : être, ne plus être et réapparaître. Présence, absence, présence. Il est encore vivant. Cette idée m’énerve. Pourquoi ne répond-t-il pas alors ? Qu’est ce qui l’empêche ? Le serveur m’informe de nouveau que mon étranger est en train de jouer. Apparemment, il aime jouer. Le jeu serait plus important que moi. L’idée ne me plait guère. Je repars vers l’autre : «  alors, j’arriverai vers 15h. Je ne bougerai pas du lieu du festival. Tu as mon numéro. Tu m’appelle quand tu veux ». Il ne répond pas. Il est presque midi. Le train est dans une heure. J’allume une cigarette. L’Autre joue encore. Impossibilité d’interrompre le jeu pour me répondre. A quel jeu joue-t-il exactement ? Cela m’indiffère. Tous ce qui compte, c’est qu’il joue. Il se fait tard. Je ferme mon ordinateur. Je pars chercher ma valise. Je quitte la maison. Le ciel est toujours gris.

   15h10. La gare. Le ciel n’a pas changé. Il y a beaucoup trop de monde. Le lieu du festival n’est pas loin. Mon ami et moi marchions sans parler. Le vacarme humain, additionné à la couleur du ciel me rendent anxieux. Tout ce monde venu pour voir des films. Mon ami est un peu alcoolique. Il me propose des bières pas chères dans un bar lugubre. Je ne refuse pas l’idée.

Dans le bar, j’appelle Estella. On va se voir vers 20h. Il est presque 17h. Le film de l’ouverture commencera dans une heure. Je ne sais pas encore si je compte le voir ou non. Mon ami va rentrer dans une heure trente. Je ne sais même pas pourquoi il est venu. Je ne pose pas la question. Les bières sont fraîches, bonnes. Je bois rapidement comme si j’étais pressé. Je verrais peut-être le film. Mon étranger joue certainement encore. Mon ami entreprend une critique du milieu artistique. Je m’en fous. La seule chose qui m’intéresse en ce moment est en train de jouer. La vie des artistes, leur débraillement ne m’intéresse pas du tout. Mon intérêt rôde autour de la personne qui joue. Je regarde mon téléphone. L’information que j’y suis déjà a été annulée peut-être par l’intensité du jeu auquel il s’adonne. Faudrait-il le lui rappeler par message ? Non. Jamais. Je replace le téléphone dans ma poche. Je commande une quatrième bière. Le bruit humain est assassin. Je veux sortir. Dehors, il pleut. On ne peut pas rester sur la terrasse. On tomberait malades. Faire tot ce trajet pour voir des films et tomber malade. Ceci est inadmissible. Mon ami a fini sa bière. Il se prépare à rentrer. Son train est pour bientôt. Je reste seul.

La rue. Il fait un peu froid. Le soleil n’existe plus. Je sors fumer une cigarette. Le monde envahit encore toutes les terrasses. Des groupes un peu partout discutent cinéma et culture. Je ne connais personne. Je vois de loin des connaissances futiles. Je les évite. Estella ne va plus tarder. Une table se libère. Je la prends. Je commande une tasse de café. Les gouttelettes de pluie commencent à émerveiller mon regard. Le son provoqué par les machines qui traversent les lacs d’eau envoûtent mes tympans. D’ordinaire, je n’aime pas la pluie. Encore moins l’étrangeté. Bizarrement, un soupçon de quiétude et de sécurité m’envahissent. Ici, rien ne me retient, rien ne m’attache. Dans ces rues, rien n’allumera le feu dans mes foyers nostalgiques…

   J’aurai dû rentrer avec mon ami.

   Mon téléphone n’a pas sonné.

   Mon étranger joue encore. Le jeu est apparemment captivant. Il est 20h. Deux heures se sont écoulées entre mon arrivée et ce moment là. Il n’a pas encore appelé. Je ne vais pas le faire : «  Je sais que tu sais que je suis là depuis deux heures et tu n’as pourtant pas appelé ». C’est la seule chose que je pourrai dire. Il faut être raisonnable. Deux heures. C’est rien. Il faut se reposer. Je sais qu’il aime le cinéma. Et si je le croise ici, dans ces rues que devrais-je faire ? Que devrais-je penser ? Mais avant cela, comment pourrais-je le reconnaître ? Pourrais-je déjà le reconnaître ? Je sais que je le reconnaîtrai.

   Mon téléphone sonne. Estella est arrivée. Je pars la rejoindre. Elle n’est pas seule. Sa sœur et son ami l’accompagnent. Je les connais peu. L’idée de rester avec eux m’enchante peu. Je ne dis rien. Je ne peu pas imposer à Estella mon choix. Elle est venue avec eux. Je veux être avec elle. Où est ce qu’on part ? La sœur d’Estella propose la terrasse du bar que j’ai déjà proposé à mon étranger. Je ne refuse point. Autant y être sans lui.

   En haut. La ville est offerte à nos regards. Le son humain se fait rare. La terrasse n’est pas pleine. De loin, j’aperçois la voie ferrée du métro qui me l’amènerait jusqu’à moi. La locomotive, venant de la banlieue, passe dessus. Je sais qu’il n’y est pas. Même s’il y est, il ne viendra pas pour moi. La fatalité me tombe sur les épaules, froide. Je vérifie encore une fois mon téléphone. Rien.
Estella : « – Tu n’allais pas voir quelqu’un ?
Moi : – Non !
Estella : – Ah bon ? Pourtant, c’est ce que tu m’as dit !
Moi : – Ah ! Tu parles de mon ami virtuel, je suppose. En fait, rien n’est encore sûr. Je ne sais pas encore si je vais le voir ou pas. On n’a rien fixé. Il sait que je suis là. Il appellera.
Estella : – Et pourquoi tu ne l’appelles pas toi ?
Je me tais un petit moment. Je n’ai aucune réponse. Elle a raison. Pourquoi ne pas l’appeler ? Prendre de ses nouvelles. Il me demandera sûrement si je suis arrivé ou pas. Je lui dirai que j’y suis déjà. Que je n’ai pas encore regardé de film. Il proposera certainement alors une rencontre, même par galanterie. Mes mains ne coopèrent pas. L’idée du téléphone se fixe dans ma tête. Estella me regarde encore. Elle attend une réponse.
Moi : « – Il se fait tard maintenant. »
Estella ne fait que sourire. Je souris également.
Estella : «  Et pourquoi vous allez vous voir ? »
Je sais que les questions d’Estella ne sont pas gratuites. Son sourire malin le confirme. Cela m’agace. Je garde un air souriant : «  Et pourquoi ne pas se voir ? ». Pourquoi, pourquoi. Pourquoi toujours cette question ?
Estella : « Bon ! La personne te plaît ? »
La question m’assomme. Mon visage se crispe. Estella voit certainement une grimace absurde qui voudrait dire « je ne sais pas », « Ouais, un peu ». Une grimace entre l’étonnement et la gêne. Elle n’insiste plus. Elle change de sujet. Une interaction amusante entre nous quatre prend le dessus. L’ami d’Estella, dont j’ai oublié le prénom, est très plaisant. Il parle avec passion, rare. On ne se connait pas. Je commence à me sentir à l’aise avec lui. Ceci n’est pas de coutume. Il se fait tard. Il faut rentrer. Demain, une journée vide m’attend. On quitte le bar.

Dans la rue. On passe devant une salle de projection. Un film vient de finir. Une foule commence à sortir. Je ralentis ma marche. Je ne sais pas pourquoi. Estelle suit le mouvement, en silence. Elle s’arrête juste devant la porte de la sortie. Je m’arrête également. Les autres continuent la marche. Je demande à Estella les raisons de son arrêt. Elle ne répond pas. Mon œil ne quitte pas la foule des sortants. Estella sort son téléphone. Elle commence à composer un message. Je n’ai rien à faire. Je continue la visualisation des corps qui sortent. Maintenant, la sortie est vide. Il y a le concierge qui commence à fermer les portes. Je ne bouge toujours pas. Il y avait trop de monde. Le film a dû être intéressant. Estella termine la composition de son message. Elle me prend le bras et commence à marcher. Je la suis passivement. On rejoint les autres qui nous attendaient. La sœur d’Estella propose qu’on aille manger. On est tous d’accord. On traverse. La rue est encore pleine. Les terrasses regorgent de têtes. Il n’y est pas.

Je n’ai pas faim. Je prends quand-même quelque chose à manger. Nécessité d’être dans le normal: il faut dîner. Je suis une personne trop gourmande. Maintenant je n’ai pas faim. Aucune envie de manger. C’est dû peut-être à la cigarette. On est assis. On mange en silence. Quelque chose vibre dans ma poche. C’est mon téléphone. Des piqûres dans le ventre. Mes jambes s’affaiblissent. Il aurait terminé le jeu. Il aurait vu mon message. Il m’appellerait maintenant. Il serait libre. Le téléphone vibre encore. Je pose ce que j’ai en main. Ma main pénètre ma poche, lentement. Il faut relever légèrement le corps. Ne pas se mettre debout brusquement. Ça risquerait d’effrayer les autres. Rester assis, dans la continuité de ce qui se passait avant l’appel. Ne pas changer d’attitude. Il faut être délicat. Un de mes doigts risquerait d’appuyer aveuglement sur la touche qui raccrocherait. Je tiens le téléphone. Il vibre encore. Il faut relever encore une fois mon corps pour faire sortir l’appareil sans dommage. L’opération est réussie. Le téléphone est dans ma main. Les piqûres somatiques augmentent. J’ai un peu chaud. Je regarde l’écran. C’est Nina qui m’appelle. Je ne décroche pas.

@Rawand Ben Mansour

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