Nicotines: Le ressassement – 2

23 novembre 2013

Nicotines: Le ressassement – 2

25 Octobre 2011             

 

   Un nouveau départ. Une nouvelle ville, une nouvelle maison. Espérance d’une nouvelle « vie ».  Je suis là depuis presque deux mois. La décision du changement n’a pas été aisée. J’ai passé tout l’été à penser, à réfléchir. J’avais terminé mes études. Je n’avais plus rien à faire là-bas. Il fallait quitter la monotonie suffocante, l’ennui de ces jours passés dans la circularité maison-café. La seule perspective qui était disponible était dans la ville où je suis maintenant : la ville où s’est tenu le festival du cinéma il y a presque un an, la ville où il y a le bar que j’aimais, la ville où réside mon étranger.

   Lui, il a disparu. On n’a pas discuté depuis presque quatre mois. La dernière discussion était d’une banalité étourdissante. Et ça serait peut-être à cause de lui que la décision de venir ici a été prise suite à une longue lutte cérébrale. L’information de sa présence dans cette ville-là empêchait toute réflexion logique. Tous les arguments me semblaient douteux. Toutes les raisons que je me donnais sentaient la tromperie. Rien ne m’arrangeait. L’idée même de venir là, pour être plus proche de lui, pour créer la possibilité de le voir m’énervait terriblement : bassesse, humiliation. Fonna et Nina étaient dans l’affaire. Elles cherchaient elles aussi une métamorphose, un nouveau souffle. Dans notre café habituel, les discussions avaient été longues.

   Mon argument : le diplôme que j’ai entre les mains ne sert à rien. Il faut poursuivre les études, approfondir mes connaissances. Cela n’était pas faisable là-bas. Je détenais alors l’argument bouclier. Personne n’oserait le discuter, même moi. Je le plaçais dans toutes les discussions, accompagné d’un certain air de volonté. Fonna et Nina avaient elles aussi leurs propres arguments. Ça tenait. La décision fut prise. Nous déménagions le 09 septembre 2011.

 

*                          *                      *

 

   16h. Aujourd’hui, comme presque tous les jours depuis que je suis ici, je n’ai rien fait. Je suis seul. La maison est très grande. Je n’ai pas d’ordinateur depuis que je suis là. L’ennui commence à s’installer. Urgence : je suis là pour fuir l’ennui. Il ne faut pas le laisser faire. Je décide de sortir. Une marche fera l’affaire.

   17h. La banlieue. La mer est en face de moi. Le son des palmiers qui allongent toute la rue entrave tout bruit humain. Ça me plait. Un bouquin est entre mes mains. Je ne l’ai pas encore ouvert. Je me trouve exactement où habite mon étranger. L’une des maisons qui s’offrent à ma vue est la sienne. Cela me fait trembler les jambes. Il faut marcher, quitter l’inertie. Je me ballade passivement. Un seul itinéraire : la station du métro, celle des bus puis la plage. A chaque foule rencontrée, mon ventre me fait mal. Je m’arrête et j’allume une cigarette. Il serait peut-être parmi eux. Il aurait terminé les cours. Il rentrerait  chez lui. Le décodage des figures est exténuant : il faut garder une neutralité dans le regard, passer en revue toutes les têtes. Chercher l’inconnu dans un bain d’inconnus.

   Il est 19h. Je me tiens encore devant la station du métro. Une arrivée. Il y serait. Le décodage commence : des têtes blondes, je les zappe. Des têtes avec une chevelure, mon regard les ignore. Des têtes couvertes. Le regard les pointe. Chercher une peau brune. Tout ce qui n’est pas brun est jeté. J’ai un peu mal aux yeux. Le processus de décryptage sera bientôt terminé. Encore des têtes. Encore des têtes. Toujours la même application oculaire…La station est maintenant vide. Je m’assieds sur un banc. J’allume une cigarette. Trois éventualités dans la tête : Il aurait terminé les cours et ne rentrerait pas à la maison. Il aurait terminé les cours avant 17h. Il n’aurait pas cours aujourd’hui. Mon visage se crispe. Je jette la cigarette. Je monte dans le métro.

 

*                   *                 *

 

Une amie vient me rendre visite. Il est 22h30. On est au salon. Je ne l’ai pas vue depuis plusieurs mois. Elle était à l’étranger. On discute :

B : « – Alors, tu es encore en contact avec X ?

B. connait l’existence de l’Autre dans ma vie. Je lui ai parlé de lui deux fois il y a plus d’un an.

Moi : – Euh, non, pas vraiment. On ne se parle que rarement »

B : – Vous vous êtes vus ?

Moi : – Non

Le visage de B. change, étonné.

B : – Ah bon ! C’est bizarre non ? Et pourquoi ?

Moi : – Je ne sais pas. Il ne le voudrait peut-être pas.

B : – Tu ne l’as pas appelé depuis que tu es ici ?

Moi : – Non.» Je raconte à B. les détails de la rencontre échouée de l’année dernière.

B : « – Ah ! D’accord. Vous vous connaissez depuis un an et trois mois et il n y a eu aucune rencontre. Je pense que vous auriez du le faire avant. Maintenant ce n’est plus faisable. C’est fade »

Moi : – Oui, tu as raison. C’est ce que je me dis ».

B. s’agite. Elle s’approche de moi, anxieuse : «  Ecoute, ça te dérangerait si je le vois ? »

   Je ne comprends pas la phrase dite par B. Impossible de l’intégrer à mon psychisme. Une lame s’enfonce dans mon ventre. Je ne dis rien. Le visage de B. est rouge. Elle ajoute : « On discute depuis un bon moment et puisque je suis là, il m’a proposé de se rencontrer. Juste un petit café… Je sais que tu étais attiré par lui, mais comme on vient de le dire, il n y a rien entre vous. Si ça te pose la moindre gêne, dis le moi, je ne le verrai pas ». B. à tout dit. Elle n’a rien laissé.  Elle détient la réalité de la situation. Selon elle, rien n’est prometteur. Pourquoi ne verrait-elle pas l’Autre alors ?  B. est plus expérimentée que moi. Le monde virtuel ne lui est pas étrange. Elle est ma marraine. Je déduis : B. a su comment attirer l’Autre virtuellement. Moi, je ne l’ai pas su. B. n’approche pas ce monde avec mépris. Moi, si. Ma tête me fait mal. Je réponds : «  Me déranger ? Moi ? Non ! Pas du tout. ». B. insiste. Je maintiens ma neutralité. Pourquoi cela me dérangerait ?

   La chaise ne peut plus me contenir. Il faut que je sorte respirer. Je propose à B. un tour dans le jardin. Elle est un peu fatiguée. Je pars seul. Mon ventre me fait mal. Ca brûle. Les images de l’Autre défilent dans ma tête. Je revois la première discussion, la première fois où j’ai vu son visage. Je revis tous les moments sanglants d’attente. Je ressens l’indifférence de l’Autre s’abattre sur mon corps. J’ai mal. Un sentiment partagé entre le dégout et la jalousie m’emporte. Je ne l’accepte pas. Je le refuse de toutes les forces qui me restent. Je repars vers B. : « Tu peux le voir quand tu veux, cela ne me dérange en aucun cas ». B. sourit : «  Je le verrai demain alors

 

@Rawand Ben Mansour

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