Nicotines: La frustration – 5

7 novembre 2013

Nicotines: La frustration – 5

                                                                                                                                                                                    Début décembre 2010

 

   Opposition des attitudes. Dialectique comportementale : dire ou taire la Chose. Basculer entre la révélation et le secret. Idée prématurée : je veux dire la Chose, la balancer.  Alléger son poids. La banaliser pour annuler son importance. Communiquer à l’Autre son existence dans cette Chose. Fausse route. Il n’est pas en droit de savoir la Chose. Elle n’entre pas dans l’ordre de ses mérites. Information secondaire, dispensable. En disant la chose, je violerai son territoire. Je piétinerai son intimité. Aucune logique convaincante pour partager la chose. En dépit de ce constat, je pars vers mon étranger :

   Moi : « – Je vais te parler d’une chose que je n’arrive plus à tenir. Je ne sais pas pourquoi je dirai cette chose à toi personnellement, mais je vais la dire.

   Lui : – Vas-y !

   Moi : – Que dire ?… il y a des moments, fort absurdes, où tu te manifestes dans mes pensées. Des sensations bizarres rongent mon corps à la vue de ton nom. Je te parle de ça sans attendre la moindre réponse de ta part. Surtout pas une réponse. Tout ce que je veux que tu saches, c’est que je n’attends rien de toi. Je ne sais même pas pourquoi te raconter ça.

  Lui : – Oui, je comprends…il faut que tu saches que je ne suis pas prêt pour une nouvelle chose (l’Autre à répondu malgré mon insistance sur sa non-réponse).

  Moi : – Je sais. Tu n’as pas à me dire ça tant que je ne t’ai demandé aucune réponse. J’ai dis la chose juste comme ça, sans aucune raison apparente. Passons. Tu vas bien ? »

  Avouer le secret à l’indifférent.  Verbaliser l’innommable. Dire la Chose, puis la redire. Tenter de la mettre sur des mots, lui donner corps linguistique. Je configure alors l’intenable. Je le tasse dans le système sémantique. Je donne  sens au non-sens. En disant la Chose, j’affirme solennellement son existence, sa factualité. Je lui ôte donc son caractère essentiel. Je la prive de ce qui la constitue en moi : j’annule sa singularité fuyante. Je décompose donc son incertitude. Je rends alors la Chose saisissable, existante. Je l’intègre  dans le domaine du compréhensible, du dicible. En verbalisant la Chose, je défigure sa vérité. Pourquoi donc l’avoir dit ? L’Autre comprendra ce qu’il ne doit pas comprendre. Impossibilité d’empêcher l’étranger de comprendre ce qui n’a pas lieu. Essayer de dire la Chose (le but de ce dire n’étant pas clair) serait dire autre chose. Résultat probable de la discussion : je me condamne. Je me place volontairement comme sujet amoureux. L’Autre ne peut me voir qu’ainsi. Je distribue les rôles : moi, sujet en situation amoureuse. Lui, objet de cette situation. Avec quelques phrases (qui ne détiennent aucun sens limité) j’arrête le jeu. Je me déclare vaincu. Je retire mon masque. Je m’installe dans le domaine de l’honnêteté sentimentale. La déclaration insensée me suivra jusqu’au bout.               Exemple situationnel : la Chose a disparu, l’Autre étant toujours virtuel. Je le vois après un certain temps par accident. Je pars le saluer. Ma précédente déclaration referait surface dans l’ambiance. L’étranger ne pourrait me capter que comme son sujet désireux. Ma posture, mes regards, le ton de ma voix (étant par exemple fatigué par un dur travail) ne seront vus par lui que comme des signes de ma situation amoureuse. Conclusion  réfléchie : nécessité de ne pas voir l’Autre, jamais.

   Ne pas dire la Chose non pas pour la cacher (l’action de cacher un objet, de dissimuler une information supposerait son importance, son efficacité quelconque, à celui qui cache et à celui qui risque de la trouver) mais simplement pour ne pas la trahir. Le sujet amoureux, au risque d’être pris en flagrant délit (chose qui ébranlerait son orgueil fragile) tente de dissimuler l’existence de ses sentiments. Cette entreprise devient encore plus tenace pour le sujet narcissique quand l’autre, l’objet aimé, est en apparence indifférent.  Taire la chose pour ne pas compromettre sa vérité. La cacher pour ne pas heurter l’orgueil.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                         

                                                                                                                                                                                           15 décembre 2010

 

   Changement-cataclysme : l’autre ne vient plus vers moi. Je ne comprends rien. Aurait-il eu peur de ma dernière « déclaration » ? Peur : il aurait mal interprété ce que j’ai dit. Aucune correction n’est possible maintenant. Il faut laisser reposer. Il oubliera ce que j’ai dit.

 

                                                                                                           

 

 

                                                                                                    

 

 

                                                                                                                                                                                             28 décembre 2010

 

   « Il y a des moments, fort absurdes, où tu te manifestes dans mes pensées. Des sensations bizarres rongent mon corps à la vue de ton nom. Je te parle de ça sans attendre la moindre réponse de ta part. Surtout pas une réponse. Tout ce que je veux que tu saches, c’est que je n’attends rien de toi. Je ne sais même pas pourquoi te raconter ça ». C’est la sentence qui a provoqué le cataclysme. Ma phrase d’achèvement.  Soixante cinq mots, pas plus, auraient ébranlé une certaine réciprocité. Six phrases auraient changé le cours d’une chose.

   Incompatibilité irrévocable entre la chose sentie et la chose dite. Réception erronée de la chose : il ne faut plus parler.

@Rawand Ben Mansour

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