Nicotines: Le ressassement – 1

15 novembre 2013

Nicotines: Le ressassement – 1

 

 

Février 2011

 

Rien. Trivialité meurtrière. L’absence de l’Autre commence à intégrer la quotidienneté. On ne se parle plus. Plus rien à dire ? Plus rien à  vouloir découvrir ? La chose  (intérêt, curiosité) qui le poussait  à venir vers moi se serait évaporée.

 

 

 

 

 

 

Avril 2011

   Passage à double niveau. Premier degré : traversée des antonymes : je quitte sitôt l’évidence rassurante des choses pour entrer immédiatement dans l’absurdité inquiétante de la chose. Second niveau : transition des identiques. Je quitte mon vide pour m’installer dans l’absence de l’autre. Aucun entre-deux tangible. Aucun intervalle préparateur. Changement bipolaire, presque traumatisant. Passage cassant, fracassant…sans préavis.

   Transfert de la quiétude à l’angoisse. Transition d’une vacuité à une absence.

   Meubler le vide par un autre vide, encore plus accablant. Je veux l’inconnu. Je demande l’étranger. J’attends l’absent-indifférent. Rien de commun entre cet être et moi, à part une appartenance à l’espèce humaine. Question urgente, alarmante, qui ne passe pas sans laisser de traces cérébrales : pourquoi donc l’attendre lui ? Lui au milieu de quelques milliards d’autres hommes ? J’ai le choix infini de l’attente. J’attendrais un Japonais, un Afghan ou alors un Zimbabwéen. Fatalité à deux degrés : subir (dans le corps et la tête) l’impardonnable  poids de l’attente. S’additionne à cela (second degré de la catastrophe) l’ignorance totale de l’attendu. Conséquence purement déductive : je n’existe plus. Je me retrouve enfoui sous le poids insoutenable d’un double désastre. Vient alors la question finale qui me mène vers le vertige : tant que je n’existe plus, pourquoi donc l’attendre encore? Nécessité obligeante d’opérer un changement lexical dans la description de cette chose. Postulat évident : douleur incessante, dangereuse,  à cause de cette attente. Suite logique à cette douleur : je n’existerai plus. Je réduis donc (par procédé de concision sémantique)   le schéma de la chose : attente-mort. Attendre serait donc finir. Je m’achève par et dans l’attente. Je me décompose selon la cadence de cette attente. Perdre toute envie de toute chose. Rien ne satisfait plus. Rien ne rassasie plus, sauf un quelconque signe de lui. Je règle ma survie au rythme de ses signes. Des signes vitaux, indispensables à ma propre perpétuation. Entre un signe et un autre, je meurs dans l’attente. Un signe…le moindre, ne serait-ce qu’une banale présence lointaine.

   Il ya une catégorisation de signes. J’en décèle deux types : des signes généraux et des signes particuliers, intimes. Dans la première catégorie, je n’entre pas dans le processus de l’émission du signe. Je ne figure pas comme son destinataire exclusif. C’est le signe public, non destiné, général. D’après mon étymologie objectivement amoureuse, ce n’est pas un signe. C’est la simple présence virtuelle, non réelle et intouchable de l’Autre. L’intentionnalité de communication n’y figure pas. Or le paradoxe amoureux, étant le sujet qui attend, qui guette, transforme la simple manifestation en signe. Des réactions particulièrement somatiques illustrent ma traduction de l’apparition en signe. Des piqûres retenues occupent mon ventre. Une suffocation atténuée engendre un soupir silencieux. Je m’apprête alors à recevoir la seconde catégorie de signes. Je plonge dans l’attente étouffante d’un signe, de mon signe. La seconde catégorie me place alors comme seul récepteur du signe. Je suis donc le motif essentiel de l’élaboration du message. C’est le signe privé, destiné (à moi seul), intime. L’autre a alors l’intention complète de communiquer. L’origine de son intentionnalité m’échappe fortement. Elle pourrait être voulue, désirée et réfléchie. Elle pourrait être aussi (à chance égale avec la première) non spécialement voulue, venant d’un ennui, d’une curiosité…d’un jeu.

   Etant toujours et encore dans la position du sujet amoureux, je ne peux être que paradoxal. Conscient de l’impossibilité de savoir l’origine de l’intentionnalité de l’Autre, je m’adonne pourtant à mes propres suppositions et hypothèses. Toujours ce vouloir tout comprendre en situation de totale incompréhension. Cette manie incessante à vouloir trouver des réponses à tous genres de questionnements. Affirmation  idéale de ma position de sujet pensant,  soumis, qui ne fait que subir.  La question phare tourmente alors ma tête : pourquoi s’adresse-t-il à moi ? Les manifestations somatiques doublent d’intensité. C’est tout mon corps qui commence à réagir suite au signe. Je ne pourrai localiser une manifestation particulière à la réception du signe. Tout est en ébullition. Des mouvements internes, innommables, bloquent la respiration, empêchent la concentration. Orgueil bafoué, je tente d’y remédier. Eviter l’immédiateté de la réponse. Je ne répondrai pas instantanément.  Il faut occuper les mains : j’allume alors ma cigarette. Je pars réchauffer mon café, presque fini.  Quitter tout, sortir, bouger. Ne pas rester passif devant le signe.

   Je remets mon corps devant le signe. Je le relis. L’Autre est encore là, présent, attendant (pur délire) ma réponse. Et si l’Autre était dans la même position que moi, sujet amoureux ? Et si j’étais son objet aimé ?  On serait tous deux sujets et objets en même temps : je suis le sujet. Il est mon  objet. Renversement : il est le sujet. Je suis son objet. Chiasme émotif, résultat d’un narcissisme insulté. Conscient de la face meurtrière de ce que j’endure, j’évite donc à l’Autre toute douleur. Je réponds au signe. (Bêtise narcissique de supposer l’Autre comme sujet et non comme objet. Tactique de vengeance, de rééquilibre des estimes).

Aujourd’hui, j’ai réussi.

@ Rawand Ben Mansour
@ Rawand Ben Mansour
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