Nicotines: La pagaille – 3

12 octobre 2013

Nicotines: La pagaille – 3

                                                                                                                                                                                                                                          30 Juillet 2010

Je me suis réveillé avec des piqûres dans le cœur.  Ça m’arrive assez souvent. Je ne donne aucune importance à ce genre de malaise. Je me donne des explications hâtives, toujours selon les contextes. Je lie fréquemment cette douleur à la grosse quantité de cigarettes que je fume, à leur qualité aussi. Je me dis aussi que j’ai peut-être dormi plus qu’il le fallait. ça me fait mal. Je change de position. Essayer de me rendormir. Aujourd’hui, j’ai choisi la première explication. Je veux dormir encore. Je n’ai rien à faire, pourquoi ne pas dormir alors ? Le changement de position n’a rien résolu. Je bois un peu d’eau fraîche. Je fume une cigarette. Je recherche encore le sommeil, en vain. Aucune échappatoire face à cette douleur. Je sens mon cœur abattu entre mes os. Je respire longuement. J’écrase mon cœur contre le matelas afin d’atténuer les piqûres. Ça fait de plus en plus mal. Ai-je dépassé le temps nécessaire de sommeil ?  Je quitte mon lit. Je sors au jardin respirer un bon coup d’air frais. Il fait un peu noir. Ça ressemblerait au crépuscule. Il est 19h.

Je ne trouve pas mon téléphone. Je le cherche avec passivité. Toujours rien. Mes amis ne peuvent me contacter que sur cet engin. Je continue l’action  avec la même nonchalance. Cela me fatigue. Je rejoindrai mes amis au lieu habituel de nos rencontres. Il est presque 20h. Ils seront tous là-bas. Je pars à la cuisine prendre mon petit déjeuner.  Ma mère n’y est pas. Elle vient chaque semaine passer une nuit ou deux chez moi. Là, elle est sûrement chez elle en train de préparer le dîner dans un vacarme presque assassin. Je profite du silence apaisant qui envahit ma cuisine. Je prépare mon café, je pars chercher mon paquet de cigarette. J’allume mon ordinateur. Je commence à discuter avec l’étranger de l’autre jour. On parle depuis presque deux semaines, quotidiennement, et ça commence à devenir une habitude. Je ne connais toujours pas son visage. Lui non plus. Une relation spectrale qui m’enchante légèrement. A quoi bon vouloir connaître les traits physiques de cet étranger ?

On sonne à la porte. C’est Fonna qui passe me chercher. Je ferme l’ordinateur sans informer le spectre. Je m’habille. On sort. Dans la voiture, une musique me fait penser absurdement à l’étranger. Peut-être qu’il m’avait envoyé une fois cette chanson ? Je ne sais plus. Le surgissement mental de cet inconnu me dérange. Fonna est silencieuse. Cela ne fait qu’augmenter mon irritation. Je commence à bavarder. Faire sortir Fonna de son silence. Faire fuir la légère présence de cet inconnu dans mes pensées.

On arrive au café. Il fait bon. Il est presque 22h30. Toujours la même monotonie étouffante. Le même endroit, la même boisson, presque toujours la même table, les mêmes visages. Ici, on ne se tait guère. On parle, on parle jusqu’au pur bavardage.

*         *              *

Fonna passe la nuit chez moi. Nous sommes dans le jardin. L’aurore commence à prendre la relève. Les étoiles disparaissent peu à peu. Il fait  toujours bon. Pas loin de nous se trouve mon diplôme de fin des études supérieures, mal rangé. Une étape a été franchie. Nous succédons à une étape suivante, inconnue. Nous sommes là pour une pause. Récupérer pour terminer la vie. Nous sommes jeunes et fatigués déjà de vivre. quel pathétisme!. Il nous a fallu un espacement temporel pour un peu de recul. Interroger le passé, l’analyser, le comprendre et le dépasser. Et ce n’est pas une entreprise facile. Nous sommes en plein pagaille. Pas de temps au répit. Des projets futurs bombardent nos têtes. Des interrogations infinies engendrent l’étourdissement. A défaut de contrôle, il faut reposer du moins nos corps : bien dormir, bien manger, bien boire.

Hier, j’étais sur cette même terrasse, sur la même chaise, avec Nina.  Y. me manquait. Ce soir, il me manque encore…peut-être…je ne sais pas. Je ressens l’oubli de la mémoire. A quoi sert de se souvenir ? Je tente la lute contre l’affreux retour des images. Je nie la nécessité (évidente) de la mémoire…Je ne l’ai pas vu depuis sept mois. Petite privation. J’ai passé deux ans auparavant sans le voir. J’ai connu son absence. Je la connais encore.

Je le connais depuis trois ans. J’étais la personne qui ne sentait pas. Aucun besoin de l’humain. Je donnais mon corps pour répondre à des instincts qui sortaient de je ne sais où. Mon corps vagabondait dans des endroits presque toujours inappropriés.  Je l’ai vu pour la première fois sur une photo .Une sensation ineffable (avec du recul, je la nommerai désir) dont j’ignorais l’existence s’empara de moi. Aucune explication  n’a pu concorder avec les vagues inconnues qui traversaient mon corps. Mes yeux fixaient sa figure comme on fixerait un extraterrestre. Je commençais à voir. Auparavant, je ne voyais pas (ou peut-être je ne voulais pas voir). Devant moi, le visage d’un homme que je ne connaissais pas, l’ami de mon amie. J’étais une passivité. Aucune problématique cérébrale. Je ne pensais point à l’amour. Je l’attendais encore moins. Aucune réflexion faite sur ce sentiment. Il était là, entourant mon quotidien. Je le voyais chez les voisins, dans les rues, dans les films, dans des livres, dans ma maison.  Jamais en moi. Une évidence qui ne nécessitait pas une méditation. Quelque chose qui viendrait un jour, ou peut-être non.

Voir une tête, la contempler et sentir une brûlure dans tout le corps…c’est ainsi que j’ai quitté mon quiétisme, involontairement.

Je n’ai revu la figure que six mois après, en vrai. Par surprise. Aucun avertissement, aucune alarme qui aurait signalé sa présence dans l’endroit où je rejoignais mes amis.  J’ai mis mon corps sur une chaise, la seule qui était libre, juste à côté de lui. Je perdis alors la capacité de proférer un mot. Aucun contact ne nous a unis, à part celui des yeux. J’étais absent par sa simple présence. Nous ne nous étions retrouvés la deuxième fois, sur un lit. Depuis, nous nous sommes retrouvés que sur des lits, parfois rangés, d’autres fois désordonnés. Son corps était à coté de moi, allongé, presque nu. Je le contemplais et ça me rassasiait. Première expérience de ce genre : être à côté d’un corps que je voulais. On ne formait un « nous » que sur le lit. Entre une parole froissée et une autre meurtrière, nos corps s’y réunissaient.

Nous, êtres humains, ne sommes sincères que sur les lits. Là où toutes les paroles du monde s’anéantissent pour laisser libre jeu au langage du corps. Nos organes revêtent alors l’allure des mots. Nos mains explorent des terres vierges, redécouvrent infiniment ces mêmes terres. Nos lèvres dégustent des choses interdites. Nos yeux observent des corps bien faits, tantôt inachevés, tantôt abîmés. Les mots n’ont plus lieu d’être. Se taire devient un acte de jouissance.

Je ne regrette aucun moment passé sur ces lits avec Y.  Il faut que je brûle tous ces lits qui gardent encore son odeur. Il faut que j’écrase tous ces meubles qui risqueraient de me garder attaché à lui. Y. a dit qu’il aime une personne. Conséquence déductive : Y ne m’aime pas.

*                  *                         *

Il est 6h.  Fonna n’a pas changé de posture, ni de visage. Elle est encore loin, noyée dans ses pensées. Je propose qu’on aille se coucher. Elle ne refuse pas. Dans le lit, le processus de rumination ne s’arrête point. Tenter de récapituler le passé juste avant de dormir. Ouverture gratuite de plaies en cours de cicatrisation. Désir audacieux de noyer des images d’antan. Nécessité d’abîmer des desseins antérieurs. Obligation de brûler les foyers nostalgiques. Je ne veux rien. Tout a été dit. Tout a été consommé. J’annulerai sa présence dans mon langage. Toujours commencer par ceux qui nous regardent. Faire oublier aux autres que je pense à lui, histoire de ne plus penser à lui. Un changement d’attitude me demande. La métamorphose s’annonce nécessaire. Je me tourne vers Fonna. Je l’enlace, puis je ferme les yeux.

@Rawand Ben Mansour

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Commentaires

sirine
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Pendant 10 bonnes minutes j'ai eu l'impression d'être à tes cotés dans la cuisine, au café, dans le jardin et même au lit... J'attends la suite :)

guivarios
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J attends la suite:)